Qu’ils soient grands singes, éléphants ou
même oiseaux, les animaux sauvages sont doués d’une intelligence restée
longtemps méconnue. Chaque nouvelle découverte scientifique vient
brouiller un peu plus la frontière factice que certains ont tenté de
tracer entre les humains et le règne animal. Bientôt, il faudra accepter
d’y faire face et remettre en question nos pratiques – souvent
discutables – qui leurs causent tant de souffrance…
Une évasion réfléchie
Une anecdote concernant les grands singes suggère cette conclusion : «
Si l’on donne un tournevis à un chimpanzé, il le lancera à quelqu’un. Si
l’on donne un tournevis à un gorille, il se grattera avec. Mais si l’on
donne un tournevis à un orang-outan, il se libérera de sa cage. »
Dans un zoo australien, en mai 2009, une femelle orang-outan de 27
ans nommée Karta s’est évadée de son enclos en faisant preuve d’une
ingéniosité remarquable. Karta a provoqué un court-circuit dans la
clôture électrique en tordant les fils à l’aide d’un bâton, puis elle a
entassé des débris et des branchages pour pouvoir grimper sur un mur de
béton et de verre. Le zoo a été évacué et les gardiens, armés de fusils à
cartouches anesthésiantes, se sont préparés à lui tirer dessus. Mais
après avoir goûté à un moment de liberté, Karta a pris un air penaud,
comme si elle savait qu’elle avait fait quelque chose de mal, et elle
est retournée dans son enclos.
Pour le responsable du zoo, Paul Whitehead, l’évasion de Karta est la
preuve de son intelligence : elle « a souvent essayé d’être plus maline
[que nous] et elle a obligé de nombreux gardiens à effectuer des heures
supplémentaires ». Il ajoute que son enclos aurait maintenant besoin
d’être « élagué » !
La fabrication d’outils à l’état sauvage
Les responsables des zoos s’efforcent de recréer au sein des
enclos un habitat naturel et attrayant pour des animaux comme Karta.
Mais il est difficile de satisfaire les besoins d’individus ayant des
facultés cognitives aussi développées.
À Sumatra, les orangs-outans à l’état sauvage ont l’habitude
d’utiliser des outils pour des raisons variées : ils cassent un rameau,
en ôtent les brindilles sur toute sa longueur, en effilent l’extrémité
et l’enfoncent dans les termitières pour en retirer le contenu. Ils se
servent aussi de bâtons pour récolter du miel ou pour ôter les fibres
rêches autour d’un fruit avant de le manger. Dans les zoos, on voit
souvent les gorilles utiliser des outils, notamment des bâtons, pour
atteindre ou récolter quelque chose. Ils s’en servent aussi comme armes.
Ils mâchonnent des feuilles pour en faire des éponges et se servent de
gros bâtons comme de barreaux d’échelle. Les chimpanzés se servent même
d’armes quand ils chassent des petits mammifères.
La fabrication d’outils était autrefois considérée comme une
caractéristique humaine. Mais plusieurs espèces fabriquent des outils,
notamment les corbeaux de Nouvelle-Calédonie. Une étude publiée en mai
2009 dans les comptes-rendus de la revue de l’Académie nationale des
Sciences américaine rend compte d’observations concernant quatre
corbeaux freux maintenus en captivité à l’université de Cambridge. Ces
corbeaux ont confectionné des crochets pour attraper des vers dans un
tube. Ils ont aussi su choisir des cailloux ayant une taille adaptée
pour passer à travers des tuyaux de diamètres variés et faire ainsi
basculer une plate-forme libérant de la nourriture. L’auteur principal
de cette étude, Christopher Bird, a déclaré : « Nous avons constaté
qu’ils étaient capables de choisir parmi une diversité d’outils ceux qui
étaient les plus appropriés et qu’ils faisaient preuve de souplesse
dans les types d’outils utilisés (1). »
Alex Kacelnik, professeur d’écologie comportementale à l’université
d’Oxford a mené des recherches sur l’utilisation des outils chez les
corbeaux de Nouvelle-Calédonie. Selon lui, le fait que l’on observe ce
type de comportement exceptionnel chez des oiseaux est révélateur. «
Cela signifie que l’évolution peut inventer plus d’une fois des formes
similaires d’intelligence poussée : ce n’est pas une chose réservée aux
seuls primates ni aux seuls mammifères. »
Joie et peine
Des études scientifiques ont également montré que les animaux
éprouvaient des émotions, y compris celles auparavant considérées comme
exclusivement humaines telles que la joie, l’amour et la peine. Joyce
Poole, spécialiste des éléphants, a fait état d’une mère ayant perdu son
nouveau-né : « En observant la façon dont Tonie veillait sur son
nouveau-né mort, j’ai eu pour la première fois la conviction que les
éléphants pleuraient. Je n’oublierai jamais l’expression de son visage,
ses yeux, sa bouche, la position de ses oreilles et de sa tête et sa
posture. Tout, en elle, indiquait le chagrin. »
Selon Poole, « il est difficile d’observer le comportement
remarquable des éléphants » lors de retrouvailles en famille, d’une
naissance ou d’un accouplement « sans imaginer qu’ils éprouvent des
émotions très marquées qu’on ne saurait mieux qualifier qu’en utilisant
les termes de joie, de bonheur, d’amour, d’amitié, d’exubérance,
d’amusement, de plaisir, de compassion, de soulagement et de respect. »
En août 2008, le chagrin de Gana, une femelle gorille du zoo de
Münster, en Allemagne, a tiré des larmes au public. Son fils âgé de
trois mois, Claudio, est mort dans ses bras. Pendant des heures, Gana
l’a porté, l’a bercé et lui a donné des petits coups, peut-être dans
l’espoir de pouvoir redonner du mouvement à sa tête pendante et à ses
bras ballants. Une Britannique a écrit ce commentaire en ligne : « D’une
mère endeuillée à une autre : Gana, tu es dans mes pensées. Mon petit
garçon est mort en juin dernier et c’est une chose qu’on ne pourrait
souhaiter à aucune forme de vie. »
Comprendre un langage et s’en servir
Des éléments probants indiquent que dans leur utilisation de symboles
pour communiquer, les animaux montrent une réelle compréhension. Koko,
une femelle gorille élevée en captivité, a appris des milliers de mots
anglais. Elle a le niveau mental d’un enfant de trois ans. Koko a obtenu
70-95 à des tests de QI conçus pour les enfants humains et s’est
montrée capable d’inventer de nouveaux signes pour dire par exemple «
mordre », « chatouiller » ou « stéthoscope ». Elle est capable de dire
quels sont les mots qui riment ensemble. Elle comprend l’ordre des mots
lorsque cet ordre est indispensable à la compréhension de la phrase, et
elle est capable de décrire ses propres émotions : un jour, ayant mordu
quelqu’un, elle a semblé s’excuser en formant par signes les messages «
mal mal » et « désolée mordre égratignure » (2) .
Alex, un perroquet gris du Gabon (3) auquel Irene
Pepperberg a consacré ses travaux pendant trente ans, savait distinguer
et utiliser des catégories de matériaux, des couleurs, des formes et des
nombres. Quand on lui montrait deux nouveaux objets, il était capable
d’indiquer lesquelles de leurs propriétés étaient semblables ou
différentes (p.ex. la couleur, la forme, la matière). Selon Irene
Pepperberg, les capacités émotionnelles d’un perroquet gris seraient
celles d’un enfant humain de deux ans et demi, et ses capacités
cognitives celles d’un enfant de cinq ans, un fait important à prendre
en compte avant d’en acheter comme animal de compagnie car selon elle, «
c’est comme acheter un petit enfant »…
La tromperie chez les animaux
Le recours à la tromperie chez les animaux est la preuve qu’ils ont
conscience d’eux-mêmes et du fait que les autres animaux puissent croire
et avoir des intentions. Frans de Waal, professeur de psychologie à
l’Université d’Emory à Atlanta, aux États-Unis, a décrit dans ses
ouvrages Chimpanzee Politics et Good-Natured la façon dont les grands
singes usaient de tromperie entre eux en changeant d’expression faciale,
en faisant celui qui ne remarque rien quand un autre individu met leurs
nerfs à l’épreuve en tentant de les intimider, ou en dissimulant une
relation sexuelle à l’approche d’un mâle dominant. Les chimpanzés
recourent aussi à la tromperie vis-à-vis d’un rival quand une agression
n’a pas réussi, en simulant une attitude bienveillante, en faisant des
gestes de conciliation puis en mordant leur victime avec férocité une
fois qu’elle est à leur portée.
La moralité chez les animaux
Les travaux de Frans de Waal ont aussi mis récemment en évidence le fait
que certains animaux comprennent la notion d’équité. Après avoir réussi
des tâches simples, des singes et des grands singes ont reçu des
récompenses constituées de quantités de nourriture variées. Ils ont
protesté avec force à chaque fois que d’autres étaient mieux récompensés
qu’eux pour avoir réussi les mêmes tâches. À maintes reprises, les
singes défavorisés ont boudé et ont refusé de participer plus longtemps
aux expériences…
D’autres travaux ont mis en évidence des exemples de
comportement altruiste chez les chimpanzés. Ces derniers sont capables
d’aider des humains et de s’entraider spontanément, même en l’absence de
toute récompense. D’autres travaux ont montré que les primates se
souvenaient des individus qui les avaient bien traités et qu’ils
s’efforçaient de le leur rendre.
« Je n’affirme pas que les primates non humains sont de
s êtres moraux, explique De Waal, mais on a
suffisamment de preuves que d’autres espèces que la nôtre adhèrent à des
règles sociales pour pouvoir admettre que certains éléments
constitutifs de la moralité humaine sont présents chez eux.
Des êtres sensibles dont l’exploitation par les humains pose un problème
Le fait que la science nous apporte sans cesse de nouvelles informations
sur les espèces non humaines devrait être lourd de conséquences sur la
manière dont les humains les traitent. Peut-on garder ces espèces – des
êtres sensibles qui pensent, qui sentent et qui, dans une plus ou moins
large mesure, ont des émotions semblables aux nôtres – en captivité dans
des zoos et dans des laboratoires ?
Comme l’explique Eleonor Boyle dans une étude sur les
neurosciences et la sensibilité des animaux publiée en 2009, «
paradoxalement, un certain nombre de travaux démontrant que les animaux
sont sensibles et conscients ont été réalisés en utilisant des animaux
en captivité, entre autres des primates. Les résultats de ces travaux
soulèvent des questions concernant l’exploitation des animaux par les
humains, dans la recherche comme dans d’autres domaines tels que
l’agriculture. Les conclusions auxquelles on parvient suggèrent le
besoin de trouver des méthodes scientifiques qui ne soient pas autant
dépendantes de l’utilisation de sujets animaux et soulignent la
nécessité d’une attention accrue à la sensibilité des animaux (4) . »
AGIR
Pour nous aider à alerter le public quant au sort des animaux et
initier un changement de comportement à leur égard, vous pouvez
commander et diffuser autour de vous nos cartes sur la Sentience des animaux.
(1) Voir la vidéo à l’adresse:
http://www.admin.cam.ac.uk/news/dp/2009052603
(2) Voir :
www.koko.org
(3) Alex est mort en 2007, à l’âge de 31 ans.
www.alexfoundation.org
(4) Boyle, E. (2009) Neuroscience and Animal Sentience
www.animalsentience.com
1/
Comprendre la sentience des animaux
2/
La sentience des animaux : des invertébrés aux vertébrés
3/
La sentience des animaux de ferme
4/ La sentience des animaux sauvages